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« Gaza est le premier territoire complètement coupé du reste du territoire palestinien en 1991 »...

Entretien. Une semaine après les massacres de civilEs par le Hamas et les crimes de guerre de l’État d’Israël, Muzna Shihabi Barthe, ancienne membre de l’équipe de négociation palestinienne et Michèle Sibony de l’Union juive française pour la paix (UJFP) étaient réunies pour une émission sur la chaîne l’Anticapitaliste. Quelques extraits.

Muzna, peux-tu nous dire un peu la situation à Gaza depuis l’attaque du 7 octobre ?

Muzna Shihabi Barthe : En fait, c’est une machine de guerre continue. On a des nouvelles qui nous parviennent de Gaza, pas des nouvelles directes. J’ai un cousin par exemple, et des amis avec qui je n’ai plus de contact depuis quelques jours, parce qu’il n’y a plus d’électricité. Ce qu’on voit sur Al-Jazeera ce sont les dégâts, les massacres, tous les jours. Depuis le 7 octobre, on a plus de 100 enfants tués par jour. Donc aujourd’hui, on est à plus que 700 enfants déjà tués. Les gens, vraiment, ne savent pas quoi faire. On leur demande de partir, ils vont aller où ? C’est une prison comme tout le monde le sait. Et contrairement à ce qu’on dit, Gaza n’est pas bouclé seulement depuis l’arrivée du Hamas au pouvoir. Gaza a toujours été un endroit qui a été fermé complètement, même pendant les négociations et les accords de paix. Il y avait beaucoup de gens qui venaient de Gaza pour aller faire des études à Ramallah ou Bir Zeit, et qui après étaient complètement coupés de leurs parents, de leur famille. Parfois des parents qui mouraient ! Les enfants ne pouvaient pas aller les voir. Les gens de Gaza ont toujours été en prison à ciel ouvert. Et s’ils sortaient pour faire des études, soit ils ne pouvaient plus jamais revenir, soit ils étaient bloqués à Ramallah. C’était une situation très difficile pour tout le monde. Ceux qui ont la carte de Gaza sont des gens qui ont toujours eu le plus de malheurs. En plus, bien sûr, des camps de réfugiés, des Palestiniens qui ont été expulsés de chez eux en 1947-1948.

Peux-tu revenir aussi sur l’histoire de Gaza ?

Muzna Shihabi Barthe : Gaza c’est une partie de la Palestine dont la population a été expulsée de chez elle en 1948. À peu près 80 % de la population est réfugiée, qui demande toujours le retour à ses villes et villages d’origine et qui n’a toujours pas eu ce droit jusqu’à aujourd’hui. C’est une ville encerclée de partout, notamment par Israël. Les gens n’ont pas le droit de sortir, ils n’ont pas le droit de rentrer. Il faut des permis. C’est très très difficile d’avoir un permis. Et puis, au fur et à mesure des années, Gaza a commencé à être de plus en plus enfermée. C’était le premier territoire complètement coupé du reste du territoire palestinien, notamment en 1991, chose qu’on ne sait pas ! On dit toujours que ça a commencé en 2007 quand le Hamas a gagné démocratiquement, quand le Hamas a été élu. Mais, en fait, en 1991, avant même les accords de paix, Gaza a commencé à être fermée avec un système de permis donnés par l’occupation israélienne et les gens ne pouvaient plus circuler, ce qui fait une coupure des familles puisque les gens avaient de la famille ailleurs en Palestine. Ça voulait dire aussi que les gens qui même faisaient du travail ou avaient du travail en Cisjordanie ou en Israël ne pouvaient plus partir. Donc, au fur et à mesure des années, Gaza est devenue de plus en plus appauvrie, enfermée, une prison. Et on peut dire que c’est vraiment aujourd’hui un camp de concentration en train d’être bombardé par Israël, chaque minute. C’est-à-dire que quand je regarde les informations, ce sont des familles entières. Jusqu’à aujourd’hui, il y a 50 familles qui ont été anéanties, depuis le 7 octobre seulement, 50 familles qui n’existent plus. Pourquoi ? Les gens devaient être ensemble pour essayer d’aller dans les maisons où Israël disait : « Allez vers le sud pour être protégé ». Soit les gens étaient dans les maisons, ils se faisaient bombarder et ils sont morts, et ça continue. Je parle du passé, mais en fait ce sont des massacres tous les jours et toutes les heures. Soit les gens, pendant qu’ils sont en train de faire leur trajet en voiture, se font bombarder alors que les Israéliens leur ont bien demandé de partir. Et dans les médias, les Israéliens montrent qu’ils veulent protéger cette population. Donc il y a une machine de guerre immense contre les 2,2 millions d’habitantEs, et ce sont tous des civilEs, en majorité. Ce sont des massacres continus. On en est à plus de 2 300 morts en une semaine dont 700 enfants. C’est dramatique. Sur Al-Jazeera, il y avait un correspondant qui découvrait que, pendant qu’il était dans la rue, ses voisins venaient d’être tous massacrés, qu’il essayait de sortir de sous les décombres. Il n’y a même pas de moyen de faire sortir les gens quand ils sont bombardés chez eux. Il n’y a pas de matériel à Gaza, c’est donc la population civile qui tente de faire sortir les gens sous les décombres. C’est pour cette raison qu’il y a autant de morts. 

Michèle Sibony, j’ai vu que tu avais écrit un édito sur la situation actuelle à Gaza où tu évoquais une seconde Nakba à propos de la situation actuelle…

Michèle Sibony : L’ordre donné par le gouvernement israélien actuel de déplacer tout le nord de la bande de Gaza vers le sud a des conséquences catastrophiques. La situation est régie par la déclaration du ministre de la Défense qui impose un siège total contre la ville de Gaza — sans électricité, ni nourriture, ni eau, ni carburant, tout est fermé — et qui combat « les animaux humains ». C’est dans ce cadre-là qu’on demande à une population sous bombardement constant, comme l’a dit Muzna, d’organiser l’évacuation de la moitié du nord vers la moitié du sud de la bande de Gaza, sachant qu’on a affaire à la zone la plus densément peuplée du monde. Il n’y a ni les infrastructures pour le faire ni la possibilité matérielle d’héberger au sud la population du nord, sachant que le sud n’est pas en meilleur état que le nord. Ce qu’attendent les Israéliens, et tout le monde le sait, c’est la pression exercée sur la Jordanie et sur l’Égypte, surtout sur l’Égypte, pour qu’elle ouvre la frontière sud de la bande de Gaza. Il s’agit donc d’une demande d’expulsion assortie d’une menace ­d’éradication de cette population. 

Une réflexion me traverse récemment. Depuis la gauche israélienne qui a inventé l’idée du mur de séparation et l’a mis en place — c’est sous Rabin qu’on a commencé le développement des routes de contournement des colonies, c’est-à-dire la mise en place d’une structure d’apartheid —, les gouvernements suivants ont continué et développé cette structure. Il me semble, et je me trompe peut-être, que l’apartheid n’intéresse pas le gouvernement d’extrême droite dirigé par Netanyahou. Ce qui l’intéresse, c’est la Palestine. De la mer au Jourdain. Les nationaux religieux israéliens, ils sont pour le Grand Israël, ils ne sont pas pour un Israël coupé en deux. Ce qui est sur la table, ce n’est plus l’apartheid, c’est ou l’épuration ethnique ou l’extermination, c’est-à-dire c’est prendre la responsabilité d’un génocide éventuel : si on tue 1 million de personnes sans broncher et je dis 1 million. On sait que toute la dernière période en Cisjordanie est une période de chasse à l’homme — et de chasse à l’enfant et de chasse à tout le monde — sur des gens enfermés aussi dans des cages en Jordanie et qui n’ont pas où fuir. 

Dans un village de Cisjordanie, on n’a pas où fuir quand les colons débarquent sous la protection de la police et organisent un pogrom. Donc on est dans cette situation catastrophique et on est au bout d’une logique qui est évidemment extrêmement mortifère, qui a sans doute provoqué l’attaque du Hamas sur ce que les Israéliens appelaient l’enveloppe de Gaza, c’est-à-dire la zone autour de Gaza, ces villages et kibboutz. Ils viennent d’ailleurs de la rebaptiser, parce qu’ils n’osent plus prononcer le mot de Gaza. Ils l’appellent maintenant le Néguev occidental.

Table ronde : Gaza, quelle solidarité avec la Palestine ?

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